Review #20 / « Rompre » de Yann Moix

Je sais qu’on n’est pas censé parler d’un livre qui n’est pas encore sorti. En soi c’est un peu absurde, ce serait comme dire qu’on ne doit pas parler de Noël avant le 25 décembre, non ?

J’ai déjà parlé de l’envie de lire, du désir qui naît pour x ou y raison et qui fait que je vais me jeter sur un livre alors que j’ai plutôt tendance à accumuler, à laisser traîner avant de me jeter à l’eau.

Ma nature, en matière de lecture, m’étonne(ra) toujours. Je me fais l’effet d’un dragon à deux têtes : une face raisonnable, frôlant le dilettantisme, avec une fâcheuse tendance à tout remettre à plus tard, et un côté maniaque, qui s’attache aux dates, aimerait lire la rentrée littéraire dans les temps, être d’actualité, découvrir un livre dès qu’il passe le pas de la porte de mon appartement ou de mon bureau.

Je n’arrive toujours pas à identifier clairement le noeud qui fait lien de l’un à l’autre de ces hémisphères de ma personnalité de lectrice et qui fait de moi la lectrice que je suis. Surtout que dans ma vie de tous les jours, je suis carrément maniaque et que seule une fatigue extrême peut me faire basculer dans l’apathie.

Mais revenons à nos moutons. Ce que je veux dire, c’est que l’attente me semble primordiale. C’est dans cet intervalle entre le moment où le désir se fixe et celui où il se réalise que j’ai toujours trouvé mon plus grand bonheur. Donc si je m’écoutais, je posterais cet article aujourd’hui, mais je sais aussi être raisonnable et je ne me sens pas l’âme d’une aventurière sur ces questions-là. Tout ça pour dire que je vais programmer cet article pour qu’il n’apparaisse que le 3 janvier, lendemain du jour de parution de Rompre.

Mais nous sommes le 11 décembre et j’ai fini hier de lire le dernier roman de Yann Moix. Ça fait un bout de temps que je n’ai pas écrit quoi que ce soit : j’ai 5 brouillons en attente que je vais essayer de nettoyer (de mettre au propre) pour que ce blog soit un peu à jour. (Parce que j’ai continué à lire malgré mon silence)

Rompre, donc, est un livre d’une grande beauté. Un texte comme j’ai l’impression d’en voir trop peu, un texte qui parle, qui peint et qui remue. Je ne sais pas s’il existe des gens qui n’ont pas connu de rupture, il y en a peut-être. Et quand on lit Yann Moix, on se dit qu’on a de la chance d’avoir vécu un tel chagrin un jour, d’avoir affronté une telle tempête, un tel ébranlement, parce que sans ça on aurait bien du mal à savoir qui on est.

Les ruptures sont faites de moments abominables où on se voit tout en noir, où on est incapable de mettre les mots sur ce que la personne que l’on aime a pu voir chez nous. Mais il y a aussi ces moments d’extra-lucidité où on arrive, comme par magie, à mettre le doigt sur ce qui nous fait défaut tout en étant capable, dans le même temps, de se reconnaître quelques qualités. L’épiphanie de la rupture, c’est une rencontre avec soi-même qui n’aurait pas pu advenir autrement, à un autre endroit, à un autre moment. C’est ce point de contact quasi jouissif où, tout à coup, on se voit comme l’autre nous a vu, où on se voit comme dans un miroir, et où, surtout, ces deux images viennent se superposer pour nous offrir à contempler une espèce d’image ultime qui, si elle n’est pas complètement juste, s’en approche un peu.

On s’en fiche, de qui est Yann Moix. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, on n’est pas que des concierges et ce qui nous intéresse dans ce texte c’est exactement ce qu’il nous offre : non pas ses états d’âme mais le récit d’une rupture avec l’autre et d’une rencontre avec soi. Et franchement, c’est assez rare pour être souligné, ça a quelque chose de prodigieux. Je me demande encore comment font les écrivains (et les artistes au sens large) pour réussir cet exploit : parler des autres en parlant de soi. On appelle ça l’universalité et ça fait du bien.

Un dernier mot, enfin, pour saluer le style et la maîtrise du verbe de Yann Moix.

À lire, absolument.

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